Les Game Awards 2024 marquent un tournant dans l’histoire de la cérémonie en intégrant pour la première fois des DLC (contenus téléchargeables) et des remakes parmi les catégories principales, y compris la prestigieuse récompense du Jeu de l’Année. Si cette décision semble refléter l’évolution du paysage vidéoludique, elle suscite également des interrogations sur la pertinence de ces choix. Alors, faut-il célébrer ou critiquer cette inclusion ?
Un bouleversement des critères traditionnels
Historiquement, les Game Awards ont été conçus pour récompenser l’excellence créative et technique dans l’industrie du jeu vidéo, avec un accent particulier sur l’innovation. L’inclusion de contenus additionnels comme Elden Ring : Shadow of the Erdtree ou de remakes ambitieux tels que Silent Hill 2 et Final Fantasy VII Rebirth dans des catégories majeures redéfinit ces critères.
Cependant, cette décision soulève une question essentielle : peut-on comparer à armes égales une œuvre entièrement nouvelle et une extension ou une réinvention d’un jeu existant ?
DLC et remakes : un effort créatif moindre ?
Un DLC, aussi élaboré soit-il, repose sur des bases préexistantes : un moteur graphique, des mécaniques de gameplay et un univers déjà conçus. Par exemple, Shadow of the Erdtree, extension de l’acclamé Goty Elden Ring, bénéficie directement de l’héritage colossal du jeu de base, notamment sa jouabilité et sa direction artistique. Bien que cet ajout promette d’enrichir l’expérience des joueurs, peut-on vraiment le considérer comme une création équivalente à un jeu entièrement nouveau, comme Métaphore : ReFantazio, qui part de zéro pour bâtir son propre univers ?
De même, les remakes comme Final Fantasy VII Rebirth repoussent les limites de la technologie moderne, mais ils s’appuient sur une narration et des concepts déjà établis. Certes, ils demandent un travail colossal de réinterprétation et d’innovation technique, mais ce ne sont pas des œuvres originales. Comparé à un jeu comme Astrobot, le remake perd en fraîcheur ce qu’il gagne en nostalgie.
Un risque de biais supplémentaire envers les franchises populaires
En ouvrant les portes aux DLC et remakes, les Game Awards pourraient renforcer la domination des grandes franchises au détriment des nouveaux venus. Des titres comme Final Fantasy VII Renaissance ou Silent Hill 2 arrivent à la cérémonie avec une reconnaissance culturelle et commerciale préétablie, leur conférant un avantage de taille dans une compétition censée célébrer l’originalité.
Cela pourrait également affecter la visibilité des jeux indépendants, souvent moins médiatisés, mais tout aussi créatifs. Surtout que les places dans les catégories sont très limitées.
Les Game Awards sont perçus comme un sanctuaire où l’innovation est récompensée. En mettant sur un pied d’égalité les jeux de continuation et les créations originales, cette inclusion pourrait envoyer un message ambigu : est-il encore nécessaire de prendre des risques créatifs pour être reconnu ?
Une solution plus juste : des catégories dédiées
Pour honorer le travail derrière les DLC et remakes tout en protégeant l’essence des Game Awards, une solution équitable serait de créer des catégories distinctes :
- Meilleur DLC ou Contenu Additionnel : Récompenserait des œuvres comme Shadow of the erdtree, sans empiéter sur les catégories réservées aux jeux originaux.
- Meilleur Remake ou Remaster : Mettrait en lumière des réussites techniques et narratives comme Final Fantasy VII Rebirth ou Silent Hill 2 tout en les différenciant des nouveaux jeux.
Cela permettrait de célébrer la diversité des efforts créatifs dans l’industrie sans diluer l’importance de l’innovation pure.
Un besoin de licences fortes dans une année en demi-teinte
Les Game Awards, au-delà de leur rôle de célébration de l’industrie vidéoludique, sont aussi un grand spectacle, conçu pour attirer un maximum d’audience. Les licences fortes, avec leurs fanbases massives et leur notoriété mondiale, jouent un rôle central dans le rayonnement de l’événement. Cette année, la présence de titres comme Final Fantasy ou Elden Ring assure une couverture médiatique considérable, tout en renforçant l’attrait du show.
Cependant, cette stratégie met également en lumière une réalité moins glorieuse : l’année 2024 a été relativement pauvre en nouvelles sorties marquantes comparée aux années précédentes. Peu de nouvelles licences ou de projets d’envergure sont parvenus à s’imposer avec la même force que les mastodontes des années passées, comme The Legend of Zelda: Breath of the wild ou Baldur’s Gate 3.
Dans ce contexte, l’inclusion des DLC et des remakes semble davantage être un moyen de combler un manque de candidats emblématiques plutôt qu’une réelle volonté de reconnaître ces formats comme égaux aux œuvres originales. Ces ajouts jouent le rôle de « bouche-trou » dans une compétition qui, en d’autres circonstances, aurait sans doute été dominée par des créations totalement inédites. Si cela permet d’assurer le spectacle et de maintenir l’intérêt des spectateurs, cela peut aussi être interprété comme un compromis qui affaiblit la signification des Game Awards en tant qu’arène de l’innovation et de la nouveauté.
Ainsi, cette décision pourrait bien être révélatrice d’une tension entre les impératifs du show-business et les attentes des joueurs d’une compétition équitable, un équilibre fragile que les organisateurs devront soigneusement surveiller pour l’avenir…